Analyse linguistico-culturelle de certains
passages dans la traduction française du
roman costaricien Marcos Ramírez

Juan Jiménez Murillo

Escuela de Literatura y Ciencias del Lenguaje

Universidad Nacional, Costa Rica

Escuela de Lenguas Modernas

Universidad de Costa Rica

Julio Sánchez Murillo

Escuela de Literatura y Ciencias del Lenguaje

Universidad Nacional, Costa Rica

Résumé

Cet article s’intéresse au procédé translatif effectué par J.-F. Reille lors de la traduction du roman costaricien Marcos Ramirez de l’espagnol, en tant que langue-culture de départ, vers le français langue-culture d’arrivée, favorisant ainsi une sorte de réflexion intralinguistique. On se propose, alors, d’examiner les procédés de traduction concernant des traits grammaticaux, lexicaux, stylistiques et culturels dans les deux textes. Cette diversité de traitements des faits linguistico-culturels visent à rendre compte de la difficulté de l’abordage d’une œuvre littéraire comme objet de traduction.

Mots clés : Marcos Ramirez, Carlos Luis Fallas, traduction, procédés de traduction, littérature costaricienne

Resumen

Este artículo analiza el proceso traslativo realizado por J.-F Reille en la traducción de la novela costarricense Marcos Ramírez del español, como lengua fuente, al francés como lengua meta, promoviendo de esta manera una especie de reflexión intralingüística. Proponemos, entonces, examinar los diferentes procedimientos de traducción con respecto a las características gramaticales, lexicales, estilísticas y culturales en ambos textos. Esta diversidad del acercamiento a los hechos lingüísticos-culturales pretende reflejar también sobre la dificultad del tratamiento de una obra literaria como un objeto de traducción.

Palabras claves: Marcos Ramírez, Carlos Luis Fallas, traducción, procedimientos de traducción, literatura costarricense

« Un mot n'est plus que la métaphore d'un objet ou, dans quelques cas, d'un autre mot. [...] un mot, dans une traduction, ne se trouve pas à un mais à deux pas de l'objet qu'il prétend décrire. Le mot dog et le mot perro peut-être conjurent-ils une image semblable dans la tête de l'Anglais et dans la tête de l'Espagnol, mais une autre série d'images subliminales accompagnent sûrement chacune des versions, ce qui confère aux deux mots de nouvelles différences au-delà des différences purement sonores...»

(Rabassa, 1994: 53)

Introduction

Le roman Marcos Ramírez de l’écrivain Carlos Luis Fallas (1909-1966), dit Calufa, et publié pour la première fois en 1952, constitue une des œuvres les plus remarquables de notre littérature. Celui-ci, véhiculant plusieurs traits propres de la société costaricienne, permet de s’approcher de la réalité sociale, politique et économique du Costa Rica de cette l’époque.

Marcos Ramírez est un livre d’aventures d’enfants (Fallas, 1989, p. 11) et de caractère autobiographique ; cependant, il est aussi un livre qui dresse, en quelque sorte, le portrait d’un peuple soumis aux difficultés économiques, mais qui affronte la réalité avec optimisme et
humour. Comme dans d’autres textes de Fallas, les luttes sociales qui ont marqué une période mouvementée de notre histoire sont bien présentes.

Son auteur, célèbre notamment pour son apport intellectuel d’orientation communiste d’une part, ainsi que pour sa contribution esthétique dans le domaine du courant réaliste socialiste (Quesada, 2010, p. 85) ou néoréaliste (Ovares et Rojas, 1995, p. 127), d’autre part, spécifiquement dans la production romancière costaricienne du XXe siècle, reste, dans l’histoire de cette littérature, une figure majeure par la qualité de son œuvre, son contenu et sa diffusion au niveau national et international.

Concernant ce travail, il vise à un double objectif : relever à partir des deux versions du roman -espagnole et française- les régularités différentielles qui pourraient se produire à partir du décalage dans le fonctionnement de ces deux langues, et voir également, si les différences linguistiques entre l’espagnol et le français se retrouvent, dans ces deux versions systématiques et régulières tout en ébauchant, à la fois, un panorama net des conditions d’ordre social, culturel, historique et politique qui ont vu naître cet ouvrage. Celles-ci ont, en plus, contribué à rapprocher le Costa Rica et la France, grâce au partage de différents idéaux socialistes et intellectuels en vogue à l’époque.

On étudiera à cet effet, quelques passages du texte original tout en le comparant à la traduction française à la lumière des principes contrastifs.

On se propose, ainsi, d’éclairer certains contrastes entre l’espagnol costaricien et le français au niveau des unités textuelles précises. On procédera ensuite, aux commentaires synthétiques de la traduction des passages cités, qui seront organisés autour des problèmes linguistiques prédominants (agencement syntaxique, grammaire, lexique) tout en les mettant en liaison avec les procédés de traduction dont l’adaptation, le calque, la compensation, l’emprunt, la périphrase, la note du traducteur, parmi d’autres.

Afin de mieux effectuer cette analyse, on a choisi également des passages du roman, tirés de différents endroits du texte selon le type d’énonciation ; ainsi, ces extraits alternent aussi bien le discours narratif avec des éléments descriptifs.

De cette manière, on veut offrir un apport quoique modeste au domaine de la littérature comparée, car bien si Marcos Ramirez demeure aujourd’hui une œuvre très connue et traduite à de nombreuses langues, il existe peu de travaux, jusqu’à présent, versant sur les traductions françaises des œuvres littéraires costariciennes.

La traduction en français d’œuvres littéraires costariciennes

Il résulte rare de trouver, à la première moitié du XXe siècle, des œuvres littéraires costariciennes traduites au français, à une époque où la très jeune production littéraire du Costa Rica n’était pratiquement qu’à ses débuts. En plus, celle-ci restait quasiment inconnue, même en Amérique latine.

Toutefois, lorsqu’on se renseigne sur les traducteurs, ainsi que sur les maisons d’édition françaises, on trouve vite la réponse à cette question; dúne part, on se rend compte que c’est surtout la tendance socialiste, au moins dans un premier temps, avec laquelle s’identifiaient un nombre important d’écrivains costariciens de l’époque, de même que les sujets traités qui ont plutôt sympathisé avec une partie des intellectuels et lecteurs français, les poussant à s’intéresser à la littérature de notre pays. D’autre part, la cause militante menée par certains écrivains ticos au sein de notre société dont principalement Carlos Luis Fallas, Joaquín Gutierrez et Carmen Lyra en particulier, étant pour eux d’un très fort attrait, a constitué une autre raison de ce phénomène traductif, Marcos Ramirez, n’échappe donc pas à cet attrait.

Historiquement, la littérature costaricienne n’a pas eu la diffusion nécessaire, méritée et souhaitée pour se faire connaître dans le contexte international. Cette faiblesse a entraîné des conséquences, parmi lesquelles, un nombre relativement réduit de textes littéraires traduits en langues étrangères.

En dépit de cette situation, qui n’est certainement pas la meilleure, des romans, des contes et des poésies ont été traduits depuis le début du XXe siècle en plusieurs langues, surtout en anglais, français et allemand, des langues à une grande diffusion internationale ; mais aussi en russe, italien, polonais, roumain, tchèque, slovaque, hongrois, bulgare, entre autres.

À propos des traductions en français, il est pertinent de signaler qu’un des premiers textes costariciens traduits en cette langue a été Contes et poèmes de Costa Rica (1925) comportant des œuvres d’Aquileo J. Echeverría, Ricardo Fernández Guardia et Lisímaco Chavarría (Gapper par. 6).

Les années 40, 50 et 60 marquent un nouvel intérêt pour les lettres du Costa Rica de la part de plusieurs éditeurs, traducteurs, académiciens et lecteurs français ; c’est ainsi que Cuentos de mi tía Panchita de Carmen Lyra (Les Contes de ma tante Panchita traduit par G. Pillement, Les Maîtres étrangers, 1944), Cocorí de Joaquín Gutiérrez M. (Cocori traduit par G. Tyl-Cambier, Éditions G.P., 1953), Marcos Ramírez de Carlos Luis Fallas (Marcos Ramirez, aventures d’un enfant, traduit par J.F. Reille, Gallimard, 1956) et Mamita Yunai du même auteur (Maman banane and co, traduit par J. Garavito, Les éditeurs français réunis, 1964) ont connu une version en français.

Il a fallu attendre jusqu’aux années 90 à l’aube du XXIe siècle pour que d’autres romans costariciens soient traduits à la langue de Molière. Parmi ces ouvrages, on peut citer : Única mirando al mar (Unica ou la vie recyclée, traduit par A. Solano et J. M. Assié, Alfil, 1994), María la noche (María la nuit, traduction de C. Bleton, Actes Sud, 1997), Asalto al paraíso de Tatiana Lobo (Le paradis assiégé, traduit par M. Bonneton et J. Feuillet, Indigo, 1998), Murámonos Federico de Joaquín Gutiérrez (Mourons ensemble Federico, traduction de R. Faye, Actes Sud, 2003) et La música de Paul de Lara Ríos (La musique magique, traduit par O. Malthet, Gallimard Jeunesse, 2004).

Il faut mentionner que des poésies d’Ana Istarú, Laureano Albán, entre autres, et des contes de Carlos Salazar Herrera ont aussi fait l’objet d’une traduction française.

Concernant la traduction de Marcos Ramírez en France, elle faisait partie de la collection La Croix du Sud (1952-1970). Ce projet dirigé par Roger Caillois et soutenu par Gallimard, avait pour vocation essentielle de faire connaître auprès des lecteurs français des textes latino-américains créés par des auteurs renommés ou même peu connus ; à propos de ceci, Caillois affirmait :

Prendront place les œuvres les plus diverses ; chefs-d’œuvre littéraires d’abord, il va de soi, mais aussi des ouvrages critiques ou sociologiques – dont certains sont déjà classiques – les mieux faits pour rendre compte de la formation, et du mode de développement des groupes humains et des valeurs humaines dans un continent encore neuf, à peine dominé, où la lutte avec l’espace et avec la nature demeure sévère, – qui possède un style de vie particulier, et auquel d’inépuisables ressources permettent un rôle de premier plan dans l’histoire prochaine (par. ٢).

Il est évident que le caractère autobiographique et testimonial (Quesada 2010, p. 86) de ce roman de Fallas mais surtout son contenu idéologique, historique et sociologique était censé susciter l’intérêt d’un public français désireux de se rapprocher de l’Amérique centrale de la première moitié du siècle dernier.

D’autres grands noms de la littérature latino-américaine ont été traduits et publiés dans cette collection : Jorge Amado, Miguel Angel Asturias, Jorge Luis Borges, Alejo Carpentier, Rómulo Gallegos, Ernesto Sábato, entre autres.

Il est important de souligner que Marcos Ramírez est un des romans costariciens les plus traduits ; en effet, depuis les années 1950, il existe diverses versions en langues européennes : allemand, bulgare, français, hongrois, polonais, russe, slovaque et tchèque (Molina, 2011, p. 181).

Le traducteur : J. F. Reille

L’apparition en 1956 de Marcos Ramirez aventures d’un enfant par J.-F. Reille dans la collection La Croix du Sud, marque un des plus grands succès dans la diffusion de l’œuvre littéraire de Carlos Luis Fallas, étant donné le prestige que connaissait à cette époque-là le français comme langue littéraire, ainsi que le renom dont il jouissait.

Ayant traduit plusieurs romans espagnols et latino-américains J.-F. Reille y a fait preuve d’être un excellent manipulateur des mots. Sa carrière ne se limitant uniquement pas à la traduction mécanique mais plutôt à l’analyse et à l’interprétation culturelle de chaque terme.

D’habitude, le traducteur s’efface devant le texte traduit et la figure de l’auteur, tout en accomplissant une fonction essentielle dans la diffusion internationale d’une œuvre littéraire ; cependant son travail est peu reconnu.

Les grands classiques de la littérature dont les textes atteignant une grande popularité sont normalement traduits en plusieurs langues, ce qui contribue à élargir leur grandeur ou leur notoriété et celle de leurs auteurs, mais le traducteur reste dans l’ombre. Un simple exercice nous permettrait de confirmer cette affirmation : pensez au dernier roman écrit originalement en langue étrangère que vous avez lu ; il est certain que vous vous rappelez sans problème de la trame, des personnages, de l’auteur, mais probablement pas du traducteur.

Le manque de reconnaissance et l’invisibilisation dont il souffre ne constituent pas les seules difficultés auxquelles doit faire face le traducteur, car il doit également affronter d’autres défis lors de la matérialisation de son travail : les contraintes linguistiques, stylistiques et culturelles.

Si nous faisons un retour en arrière, en nous situant aux années 1950 et nous nous mettons à la place de Jean-François Reille, le traducteur de Marcos Ramírez, nous constaterons facilement que transposer en français un texte littéraire rédigé en espagnol costaricien, rendre cette nouvelle version du roman de Fallas lisible, claire et attirante pour un lecteur français et surtout procurer qu’elle conserve les traits qui font de ce livre, un ouvrage primordial de la littérature du Costa Rica, n’a pas été une tâche facile.

J. F. Reille a mené une longue carrière dans le domaine de la traduction ; il a dédié une grande partie de son travail à l’étude et à la traduction de la littérature hispanophone, surtout à la production littéraire de l’Amérique latine.

En effet, Reille, né à Nîmes en 1923, était spécialiste en lettres classiques et agrégé d’espagnol (Polet, 2000, p. 531); pendant une période longue de plus de 30 ans, il a traduit en français de nombreux ouvrages espagnols et latino-américains; parmi ses travaux de traduction les plus remarquables, on peut citer :

Reille ne s’est pas seulement intéressé à la littérature ; vu qu’il était quelqu’un d’engagé dans les mouvements socialistes et ouvriers, ce traducteur a mené une vie « militante, efficace et digne » (Rey par. 6) qui l’a conduit à faire connaître auprès des Français, au moyen de ses traductions, la révolution cubaine ou la persécution des travailleurs et syndicalistes espagnols sous la dictature de Franco (Cuba : le Livre des douze, Carlos Franqui ; Paris : Gallimard, 1965 et Écrits de la prison : le mouvement syndical espagnol et les commissions ouvrières, Marcelino Camacho ; Paris : Éd. sociales, 1976).

Si les aventures, espiègleries et souffrances de Marcos Ramírez ont été connues en France, c’est grâce, en grande partie, au traducteur Jean-François Reille qui a su transposer et adopter la vie de cet enfant alajuelense à la langue française.

Analyse de quelques procédés de traduction

Après avoir lu et confronté soigneusement les deux versions du roman Marcos Ramirez, on se propose d’analyser quelques procédés1 d’explicitation dans le passage de l’espagnol au français.

Plus précisément, on aboutit à identifier l'éventail de ces procédés d'explicitation, à faire leur analyse, et à les classer. Ces stratégies d'explicitation identifiées et classées montreront leurs différentes orientations même si l’espagnol et le français constituent des langues culturellement très proches.

Ces procédés se rapportent surtout à des traits grammaticaux, lexicaux, stylistiques et culturels ; parmi ceux qui sont à la base de notre analyse, on peut citer l’adaptation, le calque, la connotation, le développement, l’emprunt, l’équivalence, les faux-amis, la fréquence, l’hypéronyme, l’incrémentialisation, la modulation, le niveau de langue, la note du traducteur, la périphrase et la transposition.

Cette diversité de traitements des faits linguistico-culturels rend compte de la difficulté de l’abordage d’une œuvre littéraire comme objet de traduction.

L’adaptation est un procédé constituant le remplacement d’une réalité culturelle de la langue source ou texte original (TO) par une autre de la langue cible ou texte traduit (TT) ; dans la traduction de Marcos Ramírez, on en trouve quelques exemples2 :

(1) TO : ¿Querés ganarte un caramelo y una tapa’e dulce

TT : Tu veux gagner un caramel et un petit pain de sucre

(2) TO : …ellos soltaban de noche para que llevaran colgando livianas máquinas de ingenioso artificio, con petardos y cachiflines

TT : …ils les lâchaient de nuit pour pouvoir leur accrocher de légères machines d’ingénieux artifice munies de pétards et lardons

(3) TO : …pues allí se cocía el bizcocho

TT : …car on y cuisait le biscuit

(4) TO : …robarle un diez a una infeliz…

TT : …voler deux sous à une malheureuse…

(5) TO : Varios compañeros míos de clase llevaban siempre dinero a la escuela para comprar frutas, granizados, ricas melcochas Boza…

TT : Nombreux de mes compagnons de classe apportaient toujours de l’argent à l’école pour acheter des fruits, des sorbets, de délicieuse pâtes de fruits Boza…

(6) TO : …doscientas varas…

TT : …deux cents mètres…

(7) TO : ¡ carajo !

TT : pétard de sort !

(8) TO : …borrachos

TT : …des babas

(9) TO : …arrollados

TT : …des bras-de-vénus

(10) TO : ¡Tenía que ser el concho del Llano !

TT : Naturellement! C´est ce péquenaud d’El Llano!

En ce qui concerne le calque (simple transcodage des mots ou des constructions d’une langue dans une autre), même si le français et l’espagnol sont des langues ayant de nombreux éléments en commun, l’application de ce procédé peut mener à des non-sens et à une traduction confuse, comme par exemple :

(11) TO : Después de un largo rato de desgranar recuerdos con mi abuelo…

TT : Après un long moment à égrener des souvenirs avec mon grand-père…

(12) TO : …con música, aguardiente, muchas bombas y cohetes…

TT : …à grand renfort de musique, de bombes et de pétards…

(13) TO : …pa que dejés de andar peliando con los cristianos

TT : …cette manie de te battre contre les chrétiens

(14) TO : ¿Se imagina usté que yo voy a hacer el agua dulce y el café con esta semejante cochinada ?

TT : Et vous croyez que je vais pouvoir faire l’eau douce et le café avec une pareille cochonnerie ?

(15) TO : …andaba siempre muy limpia y muy bien arregladita

TT : …mais toujours propre et bien arrangée

(16) TO : …Guarida Rural

TT : Garde rurale

(17) TO : El Gordo se levantó y comenzó a dar vueltas como una gallina ciega

TT : Le Gros se mit à tourner sur place comme une poule aveugle

Le procédé de connotation est une valeur supplémentaire à un mot, de ce roman ; on peut relever cet exemple :

(18) TO : Cuando los forasteros, ya comidos y llevando bien aprovisionadas las alforjas…

TT : Quand les visiteurs, repus et le bissac bien garni

(19) TO : En ese vecindario también tuve mi primera novia

TT : Et j’eus dans le voisinage ma première fiancée

(20) TO : la troja

TT : la réserve

(21) TO : Doña Fortunata en puntillas

TT : Doña Fortunata arriva sur la pointe de pieds

(22) TO : El profesor Hernández, un señor de lentes gruesos, muy serio y calmoso y bastante condescendiente con los alumnos, dio un ligero respingo en su asiento…

TT : Le professeur Hernández, un monsieur à grosses lunettes, très grave, toujours calme et assez indulgent envers les élèves, sursauta sur son siège…

Dans Marcos Ramirez, aventures d’un enfant, on repère plusieurs exemples faisant référence au procédé nommé développement ; celui-ci consiste à substituer un mot lexical simple par un élément composé :

(23) TO : parrandero, enamorado, bebedor, jugador, contrabandista y hasta monedero falso…

TT : noceur, coureur de filles, buveur, joueur, distillateur clandestin, faux monnayeur même…

(24) TO : …y por pura hombrada

TT : …et par pure fierté d’homme

(25) TO : Cuando él resolvió montar el trapiche

TT : Quand don Pedro décida d’installer son moulin à sucre

(26) TO : gallos

TT : tortillas bourrées de…

(27) TO : moztacilla

TT : bande de poussins

Étant donné les difficultés qu’entraîne la traduction des termes propres de l’espagnol costaricien ou latino-américain, le traducteur a dû faire recours, dans certains cas, aux emprunts, par exemple :

(28) TO : …y ordenó se les sirviera a estos café, frijoles y tortillas

TT : …et ordonnait à sa femme de leur servir du café, avec des haricots et des tortillas

(29) herediano

(30) marañon

Dans d’autres cas, il s’agit surtout de transmettre une idée dans sa globalité, de chercher dans la langue cible une expression ou structure équivalente à celle de la langue ou la culture source, ce qui est important est le sens ; pour illustrer le procédé d’équivalence, on peut citer ces phrases :

(31) TO : ¿Conque así es la cosa Rosendo?

TT : Alors c’est ça Rosendo?

(32) TO : …pa que eche en su saco…

TT : faites-en votre profit

(33) TO : Pues, va a ser muy difícil que me pueda asustar Tatica Dios

TT : eh bien ça lui sera difficile, au bon Dieu, de me faire peur

(34) TO : …como alma que lleva el diablo…

TT : comme un possédé

(35) TO : …iba yo lo más orondo…

TT : …j’allais tranquille comme Baptiste

(36) TO : El domingo que a mi tío Ernesto le tocaba ir al mercado a comprar el diario…

TT : Le dimanche où c’était à mon oncle Ernesto d’aller faire le marché

(37) TO : Idiay!

TT :

(38) TO : ¡Vagamundos!

TT : Vauvariens!

(39) TO : ¡Podían tener gracia siquiera pa mañaniar a hartarse la leche…!

TT : Vous pourriez au moins avoir le geste et vous lever pour vous gaver de lait !

(40) TO : ¡Tan orondos que se quedan!

TT : Regardez-moi ces innocents!

(41) TO : Es una canción requetevieja…

TT : C’est une chanson vieille comme tout !

(42) TO : ¡Esta si le va a caer a Misael como San Juan a Veinticuatro!

TT : En voici une qui va lui aller comme un gant, à Misael!

Les similitudes entre l’espagnol et le français peuvent être une source de confusions au moment de traduire un texte. Le mot tigre (le même mot dans les deux langues) en espagnol costaricien a été utilisé dans la province pour faire référence à des félins habitant diverses zones montagneuses du pays, cependant les noms correspondants à ces animaux seraient : ocelot (manigordo), puma ou jaguar. On ne peut pas oublier que le mot tigre se rapporte à un grand félin qui vit en Asie. Dans sa traduction, Reille a conservé ce terme, ce qui pourrait produire chez les lecteurs français une association erronée à propos de cet animal.

Concernant la modulation, procédé d’ordre surtout stylistique, dans ce texte, l’écrivain et le traducteur ont abordé quelques faits selon des points de vue différents, mais transmettant la même idée, par exemple :

(43) TO : Allí hay que estarse muy quedito y muy callao

TT : Là-bas, il ne faut ni bouger ni parler

(44) TO : Mi tío Ernesto jamás malgastaba un centavo...

TT : Mon oncle Ernesto était très économe

Ce roman de Calufa comporte de nombreux mots et expressions propres du registre familier de l’espagnol costaricien, ainsi que des termes propres de l’époque. Dans ce type de cas, le traducteur a, sûrement, modifié ce niveau de langue pour faire en sorte que le lecteur francophone puisse mieux comprendre l’histoire racontée ; de cette manière, beaucoup de mots ont été transposés du niveau familier au niveau standard ; il est évident que, dans ce cas, il y a une perte en ce qui concerne la couleur des mots, les traits culturels et l’effet que l’auteur voulait transmettre :

(45) TO : ¿No habrá quien pueda sosegar a ese atajo’e borrachos?

TT : Il n’y a donc personne pour faire calmer cette bande d’ivrognes ?

(46) TO : …los dos hombretones tuvieron que guardar cama por varios días…

TT : …les deux hommes durent garder le lit plusieurs jours…

(47) TO : …iba deveras dispuesto a jugarme el cuero

TT : …j’étais vraiment décidé à jouer ma peau

(48) TO : …esta mula es muy chúcara

TT : …cette mule est une sauvage

(49) TO : …en un lejano y casi despoblado lugarejo llamado Los Cartagos

TT : …un hameau lointain et presque désert, Los Cartagos

(50) TO : …y la panza vacía

TT : …et le ventre vide

(51) TO : …horita se lo mandamos de regreso…

nous vous le renvoyons tout de suite

(52) TO : …a pesar de los consejos y regaños míos y de las apaliadas que le daba el papá…

TT : …en dépit de mes semonces, en dépit des corrections de son papa

(53) TO : …por una maldición que le echaron los tatas

TT : …à la suite d’une malédiction que ses parents avaient lancée sur lui

(54) TO : Pero yo tenía que hacer los mandaos

TT : Mais je faisais les courses

(55) TO : la vaina

TT : l’ennui

Dans certains cas, trouver un terme équivalent ou établir une adaptation devient une tâche lourde, voire irréalisable, c’est pourquoi le traducteur doit faire appel à la note du traducteur pour combler ce type de vides ; des exemples tirés de ce roman :

(56) Cruceta : sorte de sabre plat

(57) El Cadejos : animal fabuleux, aux yeux phosphorescents, à la fourrure épaisse et noire

(58) Piñuela : plante textile utilisée pour faire des clôtures et des paniers

(59) Pila : réservoir, bassin

(60) Rompope : boisson à base de maïs moulu ou de maïzena, d’œufs et d’eau-de-vie

(61) Machos : Gringos, Yankees, Américains

(62) Cuijen : poule de couleur cendré à taches blanches

(63) Guapinoles : fruits d’un grand arbre des régions chaudes

(64) Magon : pseudonyme de Manuel Gonzalez, peintre des mœurs costaricien

(65) Temblorera : construction légère utilisée pendant les tremblements de terre

(66) Caïmito : fruit mauve, un peu plus gros que la prune, de l’arbre du même nom

(67) Chicha : boisson alcoolisée ; ici, suc de canne fermentée

(68) Guineos : variété de bananes, plus petites et plus larges

La note du traducteur peut, en quelque sorte, palier le caractère d’intraduisible de certains mots, mais ceci permet aussi de découvrir une autre culture et même de fournir au lecteur étranger des connaissances sur la réalité costaricienne (Tomcsányi 2009, pp. 73-75).

Le traducteur peut aussi utiliser une périphrase pour aborder un mot dont la référence culturelle n’existe pas dans la culture d’arrivée, par exemple :

(69) TO : beneficiadora de café

TT : maison qui traitait le café brut

Dans d’autres cas et pour des raisons de style, la transposition est employée, c’est-à-dire, la traduction
entraîne un changement de catégorie grammaticale de quelques mots :

(70) TO : …y se atacaron con salvaje resolución

TT : …et se jetèrent sauvagement, résolument

l’adjectif salvaje et le nom resolución sont devenus des adverbes

(72) TO : …con mi chaqueta de dominguiar

TT : …avec ma veste des dimanches

un nom remplace un verbe

D’autres procédés employés par J. F. Reille sont la fréquence, l’hyperonyme et l’incrémentialisation. La fréquence consiste à respecter le niveau de langue ou l’effet de style, c’est le cas du terme batahola, mot rare en espagnol, qui a été traduit par autre mot peu fréquent en français : tohu-bohu.

(73) TO : Cuando tal batahola se iba acercando a la casa de Pedro Ramírez…

TT : Quand ce tohu-bohu se rapprocha de la maison de Pedro Ramirez…

Par rapport à l’hypéronyme, il faut dire que pour résoudre un problème de terminologie, le traducteur a recouru à ce procédé dans le cas de la traduction de cette phrase : con muchos jocotes, anonos, guarumos y árboles de poró en la cerca. Elle est devenue en français avec, en bordure, de nombreux arbres ; le nom de chaque espèce a été substitué par l’hypéronyme arbre.

L’incrémentialisation est un procédé qui permet de rendre compréhensible aux lecteurs étrangers une référence socioculturelle au moyen de l’explicitation avec l’ajout d’un ou plusieurs mots, par exemple la phrase :

(73) TO : Todos los Ramírez de la vieja generación nacieron y se criaron en El Llano de Alajuela…

TT : Tous les Ramirez de la vieille génération sont nés à El Llano, faubourg d’Alajuela et y ont grandi

Dans d’autres cas, on peut parler d’un transfert imprécis, dû probablement au manque de références socioculturelles :

(74) TO : …arreglaba frijoles…

TT : préparait les haricots…

(75) TO : …onde ponía los caites

TT : …où je mettais les pattes

(76) TO : el finao Zenón…

TT : le pauvre Zénon…

(77) TO : y con frecuencia debía chinear esas criaturas…

TT : et je devais souvent les amuser

(78) TO : corrida

TT : course

Conclusion

Toute œuvre littéraire, dont Marcos Ramirez tout particulièrement, engage une série de valeurs culturelles propres, se concrétisant lors de sa formulation linguistique. Ce travail a permis de découvrir que la traduction de ce roman costaricien constitue une sorte de communication particulière transmettant de nouvelles précisions aux lecteurs français.

On a constaté, aussi, que la fonction d´un traducteur consiste à transmettre le texte de la langue source (l’espagnol) à la langue cible (le français) dont le but est de garder toutes les valeurs du texte de départ. Cela veut dire que le traducteur doit maintenir non seulement le contenu et le style du texte source, mais aussi considérer la réalité sociale et historique du Costa Rica à l’époque où s’est déroulée l’action du roman.

L’opération translative effectuée par J. F. Reille lors du passage de l’espagnol en tant que langue-culture de départ vers le français langue-culture d’arrivée a favorisé une sorte de réflexion intralinguistique. Cette réflexion a dévoilé, par la suite, les différences entre le français et l’espagnol costaricien malgré leur proximité linguistique. En ce qui concerne les procédés de la traduction, ceux qu’on a utilisé les plus sont l’adaptation, la note du traducteur et le niveau de langue. Les procédés employés le moins souvent sont ceux qui se rapportent aux aspects purement grammaticaux.

De ce fait, on pourrait tirer comme conclusion que la traduction que J.-F. Reille a réalisée n’est uniquement pas un simple transfert des signifiants ; il s’agit plutôt d’un projet très délicat supposant que le traducteur se familiarise, d’abord, avec un système sémiologique et sémantique étranger et à partir de là, a choisi le signifiant approprié étant donné les connotations sociales qui caractérisent chaque terme, quoiqu’il s’agit des synonymes presque équivalents, car on réalise une traduction double, à la fois un système, ainsi grammatical qu’une autre manière de percevoir et d’interpréter le monde qu’on pourrait qualifier de grammaire culturelle. C’est justement cette grammaire culturelle qui permet d’appréhender ce qui est difficile à traduire.

Dans cette optique, on a démontré tout au long de cette analyse que dans la traduction française de Marcos Ramírez, le principal obstacle auquel s’est heurté le traducteur et qu’il a dû surmonter jusqu’à la fin, ce n’est pas d’ordre lexicologique ou sémantique, étant donné la similitude linguistique existante entre l’espagnol et le français, mais plutôt des facteurs contextuels concernant la réception de l’œuvre dans des circonstances culturellement étrangères, c’est-à-dire, pouvoir le rendre disponible à une lecture culturelle d’après les lunettes de la société française. C’est ainsi que le fait de traduire constitue un processus opérationnel qui franchit les frontières linguistiques des deux langues, ainsi que la connaissance des visions du monde engendrant l’espagnol et le français. Alors, J. F. Reille a surmonté le problème de l’intraduisibilité.

Finalement, il convient de s’interroger sur la vraie fonction de la traduction. Alors, au terme de cette analyse, on se demande si cette traduction consiste en un simple décalquage, voire reproduction mécanique ou s’il agit plutôt d’un processus de création parvenant à l’éclosion d’un texte, en quelque sorte, nouveau, allant au-delà de la simple transposition du texte original en espagnol, mais véhiculant en soi les traces d’un nouveau style adapté au contexte du français en tant que culture cible. Alors, J. F. Reille ne s’engagerait-il pas dans un processus créateur de reconfiguration du roman Marcos Ramirez à partir des idées ébauchées par Carlos Luis Fallas ? Ainsi, on pourrait

affirmer que les traducteurs vivent dans le cœur même du langage, plus abstraitement et plus généralement que les écrivains eux-mêmes. (Llovet, ٢٠٠٠, p. ٣٨)

Notes

  1. 1 D’après les propositions théoriques de J. P. Vinay et J. Darbelnet, ainsi que J. Damanuelli, M. Ballard, H. Chuquet, M. Paillard et J. Redouane concernant les procédés de traduction.
  2. 2 Tous les exemples ont été extraits du texte en espagnol et de la traduction française.

Bibliographie

Caillois, Roger. « Collection La Croix du Sud. » Gallimard. Web. 13 octobre 2016.

Fallas, Carlos Luis. Marcos Ramírez. San José: Editorial Costa Rica, 1989.

Fallas, Carlos Luis. Marcos Ramirez, aventures d’un enfant. Trad. Jean-François Reille. Paris : Gallimard, 1956.

Gapper, Sherry. « In crescendo Muchas obras literarias de Costa Rica se han traducido a otros idiomas. » La Nación. 1 juin 2008. www.nacion.com

Llovet, Jordi. « Traducción es creación », Vasos comunicantes 17 (2000) : 28-39.

Molina, Iván. « Carlos Luis Fallas: Difusión, comercialización y estudio de sus obras. Una contribución documental. » Revista de Ciencias Sociales 133-134 (2011) : 179-205.

Ovares, Flora et Margarita Rojas. 100 años de literatura costarricense. San José: Ediciones Farben, 1995.

Polet, Jean-Claude. Patrimoine littéraire européen. Bruxelles : De Boeck, 2000. Web. 20 octobre 2016.

Quesada, Álvaro. Breve historia de la literatura costarricense. San José: Editorial Costa Rica, 2010.

Rey, Lionel. « Jean-François Reille n'est plus. » L’Humanité, 26 octobre 1994. Web. 2 novembre 2016.

Tomcsányi, Judith. « Mamita Yunai: una traducción al húngaro », Letras 46 (2009) : 69-85.

Recepción: 26-12-16 Aceptación: 14-03-17